Vieille dame indigne
Le corbeau, le commis, la vieille dame...
Dans un ciel morne et gris, un corbeau passe. Son croassement, semblable à un cri de désespéré, déchire le silence de cette fin d’après midi. Attend-il une réponse à son appel ?
Dans le carré central du cimetière municipal, un commis égalise du revers de sa pelle la terre sur la tombe qu’il vient de refermer. Son travail est terminé, il s’en retourne vers la sortie. Ira-t-il boire un p’tit canon chez Dédé, le bistrot d’à côté, avant de rentrer chez lui ?
Devant le monticule de terre, une vieille dame au dos voûté, tout de noir vêtue. Son visage ridé comme un champ de labour laisse percer deux yeux secs. Le deuil apparent et le vent glacé soufflant par intermittence ne réussissent pas à humidifier ce dur regard. Pourtant, sous le tas de terre, repose son cinquième mari. Un ancien bon vivant, gourmand, trop gourmand, au point d’ingurgiter toute la dernière cueillette de champignons des bois qu’elle avait préparée en une succulente omelette, sa grande spécialité, et de s’en aller rejoindre ses prédécesseurs : bricoleur maladroit, conducteur somnolent, nageur amateur et passant où il ne fallait pas passer. Pas une émotion, pas une larme. Elle sait rester digne, la vieille dame indigne. Impassible, elle semble songeuse. Petites annonces, bal des veuves ou pourquoi pas ouèbe, trouvera-t-elle un sixième mari ?
19/02/10 - ©dh