…La belle saison touche à sa fin. Comme à chaque fois, à pareille époque, nous nous rendons, nous les tribus de la plaine, sur la colline sacrée afin d’implorer les dieux de nous préserver de la dureté de la saison morte à venir.
Le chaman, gardien des lieux, nous accueille avec une froideur et un détachement inhabituels. Même nos offrandes, plus conséquentes que jamais, ne semblent pas détendre l’homme sacré. Toutes les tribus ont le pressentiment que quelque chose de terrible va se passer.
D’un pas lent, il se dirige vers le plus haut point de la butte et se tourne vers nous, les deux bras croisés sur sa poitrine. Et, quand sa main gauche se tend vers le ciel comme pour le saisir, une rumeur formidable se fait entendre. Tous ceux qui sont présents, hommes, femmes, jeunes, vieux, savent son pouvoir illimité ; mais là, cela dépasse l’entendement. Les cieux semblent réagir au moindre mouvement de ses doigts. Quand il les referme, la ligne d’horizon se tord et l’ensemble, nuages compris, se froisse comme se froisserait une étendue d’eau prise sous la tempête. Aussitôt le miroir de la mer cesse et un noir absolu, mat, prend lieu et place des reflets, des brillances. Il y a bien le soleil qui fait de la résistance. Elle ne dure guère. L’astre s’accroche l’espace d’un instant, brûlant de mille ors comme jamais il ne l’a fait. Mais au second coup de poignet, son sort est définitivement scellé. Il disparaît comme le reste. Après un bref silence dû à la stupéfaction, l’on entend rapidement des sanglots s’élever vers ce qui fut et n’est plus. Des gémissements, des supplications s’adressent à l’homme vénéré.
Heureusement la nuit ne dure pas. Tendant bien haut sa main droite, les doigts écartés, il restitue le ciel et la lumière sous les cris de joie de la foule. Au moment où il abaisse son bras, alors qu’aucun vent ne souffle, toutes les feuilles des arbres de la forêt environnante tombent d’un coup, d’un seul…
- Alors, tu y arrives au bout de ta traduction ?
- Tu sais, ce n’est pas facile. J’ai bien mis deux semaines pour donner un sens cohérent à ce récit. C’était écrit dans une langue totalement inconnue. J’ai dû faire des recoupements avec d’autres dialectes très anciens qui avaient gardé quelques mots ou expressions qui leur étaient apparemment communs et…
- Dis donc le gars qui a écrit ce texte nous raconte le déroulement d’une éclipse en automne.
- C’est fort probable, mais il y a un truc qui me chipote.
- Quoi donc ?
- Jamais personne n’a vu les feuilles des arbres d’une forêt entière tomber d’un seul bloc et, qui plus est, sans l’aide du moindre vent.
26/09/11 - ©dh