Poisson d'avril
C'est en avril, les témoignages sont formels, le premier jour du mois qu'un dénommé Jules Barreau, dit Julot les biscoteaux, était passé, en milieu d'après-midi dans la rue des Pêcheurs, récupérer une certaine Yvette Panier, plus connue sous le nom de Suzy l'ablette. La dame était sa régulière et exerçait ses talents sur le trottoir de ladite rue. Cette artère était bien connue par tous les citoyens de la ville, honorables ou pas, en mal d'affection. Depuis ce fameux jour, personne ne les avait jamais revus. Les rumeurs les plus folles sur le mauvais sort que certains leur avaient réservé allaient bon train. Tout et n'importe quoi se racontait dans la ville basse. A un point tel que les condés furent, assez rapidement, mis au parfum. De parfum, il aurait mieux valu parler de remugle, tant cette affaire sentait mauvais. Ils organisèrent une vaste opération de ratissage dans le milieu, mais le coup de filet ne rapporta aucun résultat vraiment convaincant. Rien que du menu fretin, les gros poissons s'étaient taillés depuis belle lurette et bien avant la grande marée. Au décompte de leur maigre prise on dénombrait un ou deux maquereaux, quelques petits goujons frétillants, spécialistes de vols à l'arraché, et des brochets malfaisants, surineurs à souhait. Tout ce joli monde s'était retrouvé serré comme des sardines dans l'aquarium du commissariat central pour une garde à vue prolongée. N'ayant pu ferrer le bon poisson, la maison poulagat se résolut à remettre à l'eau, je veux dire en liberté, tout ce beau monde à l'issue des interrogatoires.
Mais si je vous narre cette petite histoire, qui peut paraître bien banale dans le monde d'aujourd'hui, c'est plus pour le caractère cocasse qu'avait pris la fin de cette affaire. Le fonctionnaire en charge de son classement avait, un an jour pour jour après le début de cette affaire, écrit sur la couverture du volumineux dossier : "Classement affaire Jules Barbeau du 1er avril".
Tout le monde en avait bien ri et ses collègues ne manquaient pas, dès que l'occasion se présentait, de lui rappeler son lapsus. Il faut dire que, sans lui rechercher une quelconque excuse, il est utile de rapporter un fait à la connaissance du lecteur. Ce fonctionnaire né un premier avril avait, comme il était d'usage dans la maison, fêté et copieusement arrosé son anniversaire. Ce qui m'amène à dire que boisson d'avril n'est pas recommandée pour conserver son sérieux.
30/03/10 - ©dh